Anzère au fil d'une vie

Assis au sommet du Pas de Maimbré, j'écoute impressionné par tant de connaissances,  mon grand-père, le régent Riand,  citer le nom de tous les sommets des Alpes bernoises et valaisannes qui forment un rideau de dentelles à l'horizon des rivières et des vallées qu'offre au regard ce point de vue inégalé; je l'entends parler du ski à Montana et des Ayentôts partis faire les saisons à Interlaken, Davos et Zermatt puis  reste songeur à sa déclaration " ...je ne serai plus là pour le voir mais  tu viendras jusqu'ici avec un téléphérique... "

On est au milieu du mois d'Août 1957.

Sur la descente vers Probon, j'ai  le droit de cueillir une Edelweiss ;  une seule.

L'hiver à St. Romain, nous vivons de grands moments lors des courses de ski Anzère - Jeurié puis Anzère -  Bré de Saxonne mais aussi des déconvenues lorsque Olivier Dussex qui avait gagné 2 fois et courrant pour gagner définitivement le challenge, est battu par Maurice Nanchen.

L'été, depuis Probon  nous allons faire des courses d'abord au magasin du Régent Savioz puis à celui de César ou peut-être l'inverse je ne me souviens plus exactement de l'ordre.

En 1960 et 1961, les ouvriers italiens pour la plupart, les contremaîtres de la région, et de grosses machines, trax, camions, rouleau compresseur etc...  défilent devant nos fenêtres. La route St. Romain-Anzère se construit.

En février 1961, nous l'empruntons en partie pour rejoindre  à pied avec toute la classe du Régent Firmin le tout nouveau téléski du Moret. Ma première montée est catastrophique, tendu, crispé, je m'étale juste avant le passage de la route.

Dans les années qui suivent, avec beaucoup de jeunes de St. Romain, fortuno, Luc et saxonne puis avec ceux des autres villages nos déplacements sur Anzère se font plus fréquents ; accrochés derrière un camion ou l'unimog de Séraphin Blanc nous remontons la route pour mieux la descendre en luge au début, puis, pour skier sur les nouvelles installations de Bonne-fille et de Pralan.

Tous les samedis après-midi, le Régent Savioz nous envoie à pied, pour skier à Anzère ; c'est sa leçon de gymnastique. Les abonnements sont gratuits, en contre partie, nous devons aider Pierre Gutknecht à damer les pistes.

Quelques Belges construisent des chalets sur le quartier entourant l'hôtel du Chamossaire.

A la maison on parle de l'augmentation du prix des terrains, d'un groupe de Genève qui veut construire tout un village, de Grand-papa qui se refuse de vendre son terrain (terrain situé à l'emplacement actuel de la piscine et de l'AV3), du Régent Savioz qui ne veut non plus pas vendre son terrain (terrain situé entre la Chapelle et le plat du Chamossaire).

A mon pourquoi, il me dit : " Avec le Régent Savioz on a la même vision ; Anzère est trop haut, pour construire un village, il faut rester aux Flan à la Tzouma  et à Itignoud.... "

 L'hiver 1964 est triste, il n'y a  pas de neige,  quelques journées de ski sont organisées par le ski-club  sur les hauts des Grillesses et aux Rousses. Mais l'espoir nous habite car la construction du grand télécabine Anzère - Pas-de-Maimbré est programmée et son achèvement  prévu pour l'hiver 1965/1966 ; là-haut la neige est garantie.

 En février 1966, avec toute la troupe des scouts de la commune, nous sommes invités à damer la piste des Masques, nous découvrons pour la première fois cette superbe télécabine. Le vent fort les balance d'avant en arrière et de gauche à droite. Plusieurs d'entre nous laissent leurs premières marques sur les sièges jaunes de ces belles cabines bleues.

Il neige abondamment et avant " d'attaquer " la première descente, une ovomaltine chaude et une tarte maison nous sont servi par Yvonne et Fridolin  au restaurant d'altitude.

De l'avis de tous, nous avons raté le fartage ; certes la neige nous arrive sous les bras, mais malgré la pente nous devons pousser sur toute la descente pour avancer.

Viennent ensuite les années " folles ", 2 ou 3 immeubles sont construits chaque année, des chalets poussent dans les forêts alentours (Pralan et Bonne-fille) ; nous apprenons par la presse que des personnalités du monde du spectacle et de la politique sont reçues à Anzère.

Un dimanche, avec un ami nous faisons du stop pour aller skier ;  et oh surprise, nous sommes conduits jusqu'au départ des installations par le conseiller fédéral Roger Bonvin qui va rejoindre son ami le Préfet d'Allèves.

Les pistes ressemblent à un feu d'artifices, les skieurs et skieuses sont de plus en plus nombreux et constellent les Masques, les Reines et les Pâtres des couleurs vives de leur anorak. 

Comme beaucoup de jeunes de la commune, nous sommes engagés l'hiver, durant les vacances scolaires pour donner des cours de ski; notre premier directeur de l'ESS est René Bonvin. Nous côtoyons les premiers professeurs de ski de l'endroit, (tous se sont illustrés lors de compétitions locales et régionales): Albert Riand, Olivier Dussex, Marc Aymon, Jacky, Constantin, et tant d'autres.

Avec admiration et  joie, nous écoutons résonner la voix de Pierre Gutknecht dans la combe " Plie tes genoux ... si tu veux tourner " !

Nous regardons timidement, et avec une certaine gêne, les  jolies belges et françaises.

La concurrence entre les magasins de ski Jacky Sport et Rey Sport est vive.

A la caisse des remontées, René Crettaz nous accueille et nous arrange toujours.

Au Télécabine, au Premiers Pas, à la Poste, et au Grenier, nous découvrons la fondue chinoise et d'autres plats inconnus  à l'époque.

Nous mettons en pratique les rudiments linguistiques appris au collège.

Durant l'été, beaucoup sont engagés par les entreprises de construction et chacun redouble d'ardeur lorsqu'il voit apparaître la VS 6000 de Gustave Chabbey. 

L'ouverture au monde a commencé !

Ce sont d'abord avec des Belges  du CJB (caravane des jeunesses belge), que nous découvrons le dancing des Masques, les premiers Rock & Roll, le slow, le Jerk, la bière et le Gin fees.

Puis arrivent les Français, les Anglais, les Allemands, toute l'Europe et, à l'exception de quelques amoureux de l'endroit, quasiment en dernier les Suisses.

Les discothèques de la Poste et du King-Kong  complètent l'offre que nous attendons; et, pour aborder les jeunes filles, nous appliquons la tactique " Tibus ".

Lors de ces soirées, l'on pouvait croiser les nombreux entrepreneurs et promoteurs de l'époque.

Années d'apprentissage ou d'étude, années d'insouciance, années folles, ou quelquefois nous frôlons le feu, mais toujours en évitant de nous brûler les ailes.

Le retour dans le village au petit matin se fait à pied, par les raccourcis à la belle saison et, sur la route principale en hiver.

Au milieu des années septantes, la construction du village se termine,  celui du secteur télécabine commence,  les télésièges des Rousses ouvrent de nouveaux champs de ski, plusieurs d'entre nous s'établissent à Anzère, reprennent un restaurant, une discothèque, créent une entreprise de construction ou un magasin, fondent des sociétés de services.

Dans les villages, la révolte gronde, " tout a été mis pour Anzère ! " En effet, la commune a consenti de gros efforts pour financer les routes, l'amenée d'eau du Rawil, le réservoir, les collecteurs d'égoûts, le centre de traitement des eaux usées etc..

Malgré tous ces efforts,  voilà que notre Berne fédéral décide de renoncer au percement du tunnel du Rawil (plus d'une centaine d'Ayentôts marchent sur Berne pour protester contre cette décision) non content de boucler notre ouverture sur la Suisse, le Conseil Fédéral édicte des règles assassines (interdiction de vente aux étrangers) qui stoppent net le plan de développement, fini le Wildhorn, et Dieu sait de quoi demain sera fait ! 

Pro-Anzère cesse ses activités, nous voilà livrés à nous même, ne disposant que de notre courage, de notre bonne volonté, et de nos connaissances théoriques pour gérer  une station initialement prévue pour accueillir quelques 12'000 personnes et qui atteint aujourd'hui, un peu plus de 8'500 lits.

La concurrence nationale et internationale est de plus en plus forte; les années nonantes sont difficiles, les commerces souffrent d'une occupation de week-end, les infrastructures d'un manquent de fréquentation;  mais l'énergie des Ayentôts ne se dément pas, elle est mise à contribution pour organiser des manifestations de portées nationales et internationales (championnats de ski, arrivées d'épreuves cycliste, concerts, expositions d'œuvres architecturales, courses de voitures, fêtes d'été, championnats du monde handiski etc...)

La richesse des rencontres accumulées, celle de l'amitié partagée, la solidarité lors de manifestations organisées sur place ou à l'extérieur de la commune restent un gage que les ressources existent pour continuer à développer notre région.

Ce qui aujourd'hui me donne du  courage et de l'espoir  c'est de voir combien de jeunes de tous les villages de la commune apprécient de se rencontrer à Anzère, combien ils aspirent à être en fin de semaine pour retrouver leurs amis d'ici et d'ailleurs,  ils sont tous des Anzérois de cœur.

L'avenir est au bout de leurs mains !

R. Bétrisey / 10.08.2004

Paru dans l’Agache